La clinique du réel, une clinique de l'Etre?

J’ai essayé depuis le début de l’année de situer avec vous ce que l’on pouvait entendre par « clinique du réel » en faisant référence à plusieurs dimensions.

Je tenterai, pour notre dernière réunion de cette année d’Ateliers, de retraverser ces différentes dimensions avant de conclure sur une ouverture qui fera d’ailleurs prétexte à ce que je souhaiterai partager avec vous l’année prochaine.

 

Nous étions partis des premières définitions que Lacan en a donné lorsqu’il manie à ce moment l’Imaginaire et le Symbolique, le Réel se décrivant comme l’opération de ce que le sujet ne peut symboliser dans son rapport à la réalité, d’où sa consistance particulière de ce réel à ce « qu’il fasse trois » (Lacan) avions nous rappelé. Le réel est donc ce dont le sujet ne peut rien dire, c’est un « je ne sais pas » qui lui est pourtant relié mais dans une relation d’extimité, d’extériorité.

A Lacan de spécifier le lieu et la forme de cette mise à mort de la perception : elle se définie de réapparaître précisément du dehors, au sens subjectif, dans le réel donc, catégorie de l’impossible comme rencontre sidérante, c’est la tuché ; mais ici Lacan ne fait pas fi de Freud puisqu’il ajoutera que ce réel réapparaît toujours à la même place, c’est l’automaton. Ces deux occurrences spécifient l’incident et la répétition qui laissent entendre la pertinence du topos que Lacan emprunte avec la bande de Moebius, c’est-à-dire de saisir en quoi le deuxième tour de la boucle vient à modifier la structure de la surface du premier temps, ce qui souligne bien qu’il faut du deux pour faire du Un, le Un que nous avions évoqué comme « trait unaire » (Lacan).

 

Pour le dire autrement, selon moi, la répétition vient rendre compte de l’« inciden-ce » première comme réel, c’est-à-dire là où il est « découpe contrastante » -comme j’ai cru bon de l’appeler- de la béance par laquelle le sujet advient, prend corps.

C’est dire si ce trou ou plutôt l’ombre de ses bords peuvent nous faire associer sur la question de ce qui peut faire advenir un sujet ou pas, avec quelles boîtes noires dont il peut être le porteur par un savoir qu’il ignore ou qui s’ignore par exemple car, on pourrait dire que c’est le lieu d’un absolu où tout peut se constituer. J’y reviendrai.

Pour autant, à travers les remarques que nous faisions juste avant, il était question de faire apparaître (c’est le mot) celle de la répétition, de la compulsion même dont Freud nous parle dans sons article Remémoration, répétition, perlaboration. L’analysant, lorsqu’il se dérobe à la remémoration, répète, « acte » donc –avec les nuances qui s’imposent-, c’est la résistance d’abord par quoi le véritable nœud du transfert se déploie. La fameuse « réaction thérapeutique négative » ouvre là à l’analyste la voie à la Deutung. Mais qui dit interprétation dit intervention de l’autre –je mets un petit a délibérément pour faire valoir que même comme grand Autre, l’analyste fait partie du réel de la cure, on l’avait écrit. Si bien que comme le rappelait Lacan, le rêve de l’analysant à tel moment de l’analyse est un bout du dialogue avec l’analyste et à ce titre, laisserait s’entrevoir quelque chose de la structure de l’analyste, de son désir aurait peut être-t-il pu ajouter. Lacan invoquera un manque de temps pour développer cela mais je me pose la question de savoir si cela n’était pas délibéré, je laisse la question en suspens pour continuer sur la clinique du réel qui nous fera recroiser ces points.

 

La clinique du réel, selon notre titre, devient à l’adresse de l’analyste « la mise en acte de la réalité psychique » de l’analysant à travers le transfert, j’ajoute, parce que l’analyste est à la place du semblant et lieu d’un savoir supposé ; le réel du sujet est « ou la totalité ou l’instant évanouit » (Lacan, Des Noms-du-Père). De cela, j’en avais déduis alors que la clinique du réel serait « celle par laquelle seront mis au travail, la répétition, le défilé des signifiants du sexe et de ce qui bute « sur le mur du langage » (Lacan), ce qui correspond, toujours selon moi, à la clinique du deuil lorsque Freud nous dit que ce qui est réel est « ce qui est retrouvé », la perte originaire donnant à l’inconscient sa pulsation autour du « rond brûlé de la pulsion » –je ré emploie cette formule de Lacan à côté pour dire que le réel nous donne les coordonnées de la pulsion au sens où réel et pulsion me semblent avoir une certaine continuité quant à leur montage, « acéphale » (Lacan), sans sujet, là où gît Das Ding, La Chose.

C’est ici que quelque chose de tout à fait singulier dans la cure peut se dégager au-delà de la répétition, un inédit à partir du moment où l’analyste est susceptible d’entendre, de permettre l’advenue de la coupure par rapport à la suture (celle de la saturation par la jouissance du départ).

De cette façon, le réel est une question à laquelle personne ne peut répondre initialement, il est « ex-clusion » comme je l’ai dit et ainsi constat auquel en psychanalyse on donne un nom à cette absence de réponse : le réel est le nom de l’absence présente d’un parlêtre, dirai-je.

 

Mais qu’y a-t-il de « plus absent-présent que le corps, là où ça jouit ? Là où est jouit le sens premier ? » disais-je il y a quelques temps. J’avais fait l’hypothèse que cela pouvait être situé du côté d’un objet-corps, d’un objet-chair, car le réel travaille au corps, on l’a largement entrevu dans la clinique de la perversion sur laquelle nous sommes revenus dernièrement, en questionnant le réel de la différence, la différence des sexes comme pivot axiomatique du réel.

Mais, en prenant en compte que l’objet perdu freudien trouve une continuité dans l’objet petit a de Lacan « comme ce qui n’est aucun être », « (…) ce que suppose de vide une demande (Lacan, Livre XX, Le Séminaire). C’est (alors) le substitut, sous forme d’objet du désir, de l’Autre », il n’est que le semblant et ne pourra en être que cela, si je puis dire.

J’en avais rappelé les coordonnées chez Freud en le citant :

« Lorsque l’objet originaire d’une motion de désir s’est perdu à la suite d’un refoulement, il est fréquemment représenté par une série infinie d’objets substitutifs dont aucun ne suffit pleinement. Voilà qui nous expliquerait l’inconsistance dans le choix d’objet, « la faim d’excitation », qui caractérise si fréquemment la vie amoureuse des adultes » (in Névrose, psychose et perversion).

Qu’est-ce à dire ? Qu’en dernière analyse, aux vues de ce que nous avons pu rappeler, énoncer et entrevu, que, comme nous venons de le souligner dans Freud, l’objet perdu ne être que représenté, et ce, par tout et n’importe quoi si l’on me pardonne cette extrapolation (confère tout de même par exemple l’objet-forme chez l’autiste). Pour autant, vous voyez bien qu’on a là la version freudienne qui, si elle n’est pas assez claire, peut trouver son rebond chez Lacan à l’endroit du petit a comme semblant d’objet corporel cause du désir du sujet dont nous connaissons maintenant à peu près la liste.

Pour ma part, le semblant corporel me paraît à la fois fondamental et insuffisant. En ce sens, lorsque je rappelais cette notation de Lacan à propos du rêve de l’analysant comme réel incluant l’analyste, on peut se demander pourquoi Lacan n’a pas été plus loin dans son développement, ainsi que j’en posais déjà la question.

Si le rêve, comme il l’indique en s’appuyant sur Freud, apparaît sous la forme de l’accompli pour le sujet dans son rapport à l’Autre, comment ne pas y voir ici que quelque chose d’autre que le semblant est à l’œuvre, que quelque chose faisant d’ailleurs à mon sens partie du réel, opère à un niveau beaucoup plus archaïque que le sein ou même le placenta comme identification à l’objet perdu, objet partiel, malgré tout situable, et qui fonctionne comme objet-chair à la fois ressenti et irreprésentable, nommable et innommable, au-delà et en-deçà du semblant d’objet cause du désir : j’entends ici l’affect, affect comme objet paradoxal à la limite entre psyché et soma, entre le sujet et l’Autre, à la limite du dicible et de l’indicible, objet complexe qui, je le souligne sans ambages, me semble être une des voies de développement et de progression de l’analyse dans sa théorie et de la praxis de sa théorie.